Discours de Mme Karine Bergeot

Discours de Mme Karine Bergeot, présidente du Jury du Prix Hélène Bertaux 2013

Madame le Maire, Mesdames et Messieurs les conseillers municipaux, Monsieur le Conseiller général, Mesdames les artistes participant à ce prix Hélène Bertaux, Mesdames, Messieurs.
Je souhaite tout d’abord vous dire le plaisir et l’honneur que je ressens à participer avec vous à cette remise du Prix Hélène Bertaux. Pour ce 4e rendez-vous, en tant que Présidente du jury, je succède à des personnalités qui me touchent, à commencer par Catherine Gonnard (Présidente, 2010 – 1ere édition), journaliste et essayiste, spécialisée dans l’histoire des femmes et l’homosexualité féminine, auteur, entre autres, avec Elisabeth Lebovici, de Femmes artistes/artistes femmes, mais également d’un court-métrage consacré à l’Union des femmes peintres et sculpteurs, une association créée en décembre 1881 par Hélène Bertaux. En 2011, c’est Catherine Paysan, et en 2012, Clélia Chotard, qui ont remis les Prix Hélène Bertaux… Deux artistes à part entière. Pour la première, la talentueuse et renommée écrivain que vous connaissez bien évidemment tous, dont certains romans ont été adaptés au cinéma ; pour la seconde, une jeune peintre-coloriste et décoratrice d’intérieur, diplômée de l’Ecole des Beaux-Arts du Mans, à l’avenir très prometteur. Je ne suis pas une artiste, loin de là, mais une historienne. C’est donc avec cet œil là que j’ai appréhendé vos œuvres, Mesdames les artistes, et je tenais à vous adresser toutes mes sincères et chaleureuses félicitations pour votre participation et la qualité de vos productions. Avec les membres du jury, nous avons eu des échanges de qualité, grâce à vous, Mesdames (je cite les membres du jury) Leila Louhibi, Sylvie Lemercier, Gérard Baudry, Jean-Luc Ourcoudoy, Rémy Le Guillerm, Christophe Delaunay et André Chambrier.

Le prix Hélène Bertaux a su s’imposer. En plus des habituels prix, pour la 1ere fois, cette année, la Chambre des métiers et de l’artisanat a souhaité décerner à une professionnelle exerçant un métier d’art à titre principal, un prix doté de 1 000 €.

64 dossiers reçus, 57 retenus (47 sarthois et 10 départements limitrophes : 28, 37, 41, 49, 53, 61).

En tant qu’historienne, j’ai bien évidemment étudié et apprécié le parcours et l’œuvre d’Hélène Bertaux. Elle aurait sans aucun doute été très fière qu’un tel prix récompensant des femmes artistes, porte son nom. Née en 1825 à Paris, elle a commencé à sculpter à l’âge de 12 ans aux côtés de son beau-père, le sculpteur Pierre Hébert. A partir de 1854, elle signe ses œuvres sous le nom de « Madame Léon Bertaux », du nom de son mari, également sculpteur, avec lequel elle finira ses jours au château de Lassay, à Saint-Michel-de-Chavaignes, dans lequel elle vécut 12 ans. Son atelier était installé dans la chapelle du château. Le couple était bien établi à Saint-Michel-de-Chavaignes, puisque, seulement 4 ans après son installation, en 1901, il achète une concession perpétuelle dans le cimetière de Saint-Michel-de-Chavaignes. Hélène Bertaux y est inhumée en 1909. Pour ceux qui n’aurait pas encore visité le monument funéraire de l’artiste… Allez-y.

Hélène Bertaux était une artiste militante. Son succès artistique a renforcé sa détermination à faire reconnaître les femmes artistes dans les milieux officiels, à l’égal des hommes. Il faut préciser que, dans la seconde moitié du XIXe siècle, dans le domaine de l’art, les femmes sont souvent considérées, par les artistes masculins, comme des muses inspiratrices et des modèles mais ne sont pas reconnues comme artistes, à part quelques exceptions, citons Artemisia Gentileschi, peintre du XVIIe  siècle ou Rosa Bonheur, contemporaine d’Hélène Bertaux. À cette époque, l’académie des Beaux-Arts leur est interdite et les préjugés négatifs quant à leur capacité à produire des œuvres d’art de qualité sont encore profondément ancrés dans la société. Devant les difficultés que rencontrent les femmes qui veulent se destiner à la sculpture, Hélène Bertaux décide alors d’ouvrir un atelier de dessin et de modelage en 1873, puis une école de sculpture réservée aux femmes en 1880. Comme mentionné en début d’allocution, Hélène Bertaux ira jusqu’à créer l’Union des femmes Peintres et Sculpteurs en décembre 1881, une association reconnue d’utilité publique, et dont elle sera la première présidente jusqu’en 1894.

A cette date (1894), elle quitte l’Union des Femmes Peintres et Sculpteurs, pour continuer à défendre les femmes et les faire bénéficier de la qualité et de la gratuité de l’enseignement de l’école nationale des Beaux-Arts de Paris. Grâce à sa mobilisation et à son acharnement, les femmes y seront enfin admises en 1897, -et pleinement en 1900- et pourront participer au concours du prix de Rome à partir de 1903. Parallèlement à cette lutte, elle continue à sculpter, présentant encore une œuvre au Salon de 1900 (alors âgée de 75 ans).

Vous, femmes artistes (toutes disciplines confondues), vous devez beaucoup à Hélène Bertaux, et je sais pertinemment que vous en êtes bien conscientes.   Et merci pour elle de lui faire honneur en créant des œuvres toutes plus originales et sensibles les unes que les autres en restant « Vous, telles que vous êtes, en adéquation avec votre univers propre » !

Hélène Bertaux a régulièrement exposé au Salon annuel et a reçu de nombreuses commandes. En 1864, son travail est enfin reconnu par ses pairs masculins puisqu’elle reçoit commande d’un grand fronton pour la nouvelle façade des Tuileries (La Navigation), suivie en 1878 d’un second fronton pour la cour du Carrousel du Louvre (La Législation). La même année, elle rencontre un franc succès avec sa Jeune fille au bain. La consécration vient, lors de l’exposition universelle de Paris de 1889 où elle reçoit une médaille d’or de première classe pour le plâtre de sa Psyché sous l’empire du mystère.

Après les thèmes du « lien » (2010), de «  la différence » (2011) et de  « l’ombre et la lumière » (2012), « le mouvement » est à l’honneur cette année. Autant dire que toutes nos femmes artistes ont été inspirées par le sujetgrâce à des techniques libres, qu’il s’agisse de modelage, peinture, vitrail, céramique, photographies ou encore art textile.

« Le mouvement », quel beau sujet… Si nous restons dans le domaine de la sculpture si cher à Hélène Bertaux, prenons l’exemple d’Auguste Rodin, notamment avec son Âge d’Airain et son Saint-Jean-Baptiste. La première sculpture est réalisée en 1877 grandeur nature d’un jeune modèle soldat. Sa statue donne une telle impression de vie, qu’on l’accuse scandaleusement d’avoir fait un moulage sur un modèle vivant. Des experts prouvent son génie et ce scandale retentissant amorce sa gloire. Un an plus tard, Rodin crée Saint Jean Baptiste, plus grand que nature montrant ainsi qu’il n’avait pas eu recours au moulage et prouver définitivement son génie. Il révolutionne alors la sculpture, par l’expressivité des formes, des expressions, des émotions, des sentiments et de la sensualité, de la perfection des visages, et de parties aussi complexes que les mains, les pieds. Si je cite Rodin, ce n’est pas anodin, car Hélène Bertaux et Camille Claudel, cette dernière ayant entretenu une relation passionnelle avec le célèbre sculpteur, ont toute juste une génération qui les sépare. Alors pourquoi la talentueuse Camille Claudel est-elle si renommée aujourd’hui, alors qu’Hélène Bertaux, tout autant douée, et contribuant à la reconnaissance des femmes artistes, est –elle tombée quasiment dans l’oubli au niveau national. Un homme d’influence derrière tout cela ? A méditer…

Merci à tous de votre présence… Mains d’art est une manifestation qui se poursuit jusqu’au samedi 4 mai… Un seul conseil : suivez au plus près le programme très riche de Mains d’art… Un ravissement !

Mme Karine Bergeot est consultante pour le Groupement professionnel Mode Grand Ouest. C’est également une spécialiste de l’histoire du vitrail.